[29d]
C’est déplaisant. Blessant.
Attention à ne pas balancer derechef la tarte aux fraises ! On a deux merguez dans le pain. [22d] [26d]
11.
On s’ennuie. On patiente. On tourne en rond. Assis. Debout. Couché. Un vrai truc de…
— Judoka.
Merci. [19f] On aurait pu craindre pire.
Assis. Debout. Couché. On s’ennuie. Sortir. On doit encore attendre. On s’occupe. Lire. Faire la vaisselle. Écrire, un mail, un texto. Payer le loyer. Tricoter. Tondre la pelouse. Pourquoi ? On n’a jamais eu de pelouse à tondre ni de rosier à déplumer. Cela se déplume, un rosier ? Ici, à coups sûr. C’est l’avantage d’y être ; faire ce que l’on veut. Balayer. Mettre le couvert. Couper en quatre la tarte aux fraises. Ou en six. En huit. Cueillir un coquelicot. L’effeuiller. Repasser. Éternuer.
On se mouche. On se gratte le nez. Que faire d’autre ? Brancher l’aspirateur. L’éteindre aussitôt. Courir. Regarder passer les trains. Traire les vaches. Gagner au loto. Se battre. Rêver. Croquer une envie. Se couper les ongles à la suite. Soupirer. Rentrer le bois pour l’hiver. Éteindre la lumière. Griller une cigarette à la fraîcheur d’une nuit d’été. Remplir la bouillotte d’eau très chaude, sans se brûler. Flâner. Pétrir. Taquiner le goujon. Se rincer l’œil. S’enduire le visage de crème exfoliante. Rincer.
On découvre un bouton juste à la base de la narine. On insiste. Pas de pus. Pas de sang. Pas de lymphe. Le privilège est toujours à l’estomac, qui se répand. Les viscères ne vont pas tarder à suivre. C’est infect. On essaie de penser à autre chose. C’est difficile quand on s’ennuie. Sortir. C’est pour quand ? On doit encore attendre. On rêve que l’on est président de la République. Ou maire. C’est peut-être mieux, d’être maire. Encore faudrait-il que l’on sache si l’on peut encore voter. On doit se concentrer, retenir les mots qui partent, revenir au dictionnaire. Étendre le linge. Se laver les dents. Ronger son frein. Chanter. Jouer au bridge. Scanner un article de Que Choisir pour maman. Allumer la télé. Danser. Dormir.
Sortir. On éternue, loin du livre ouvert. On épluche une pomme. On fait le ménage un plumeau à la main. On sort la serpillière. Le temps passe plus vite quand le carreau est lavé ; on peut voir au travers. La ville s’ouvre. On respire. On navigue. On a loué un hors-bord. On met les gaz. Non ! c’est le corps qui pète. [28f] On ne sent plus rien. On flotte entre deux eaux. La mer est bleue. Le ciel est rouge. Un nuage de sang cache la vue. On casse la vitre. Peut-on sortir maintenant ?
Non. Forcément non.
D’accord. On reprends.
Caresser le chat. Établir une nouvelle liste. Arroser. Jouir. Cuire des poires avec des pruneaux, des noix et de l’anis vert. C’était une recette que l’on avait inventée à partir du péréveck, un gâteau de Noël préparé par Marguerite. Elle est morte en 1968 d’un cancer. C’est ce que l’on nous a dit. On croit souvent ce que l’on nous dit, un peu trop, parfois. On croit surtout ce que l’on aime s’entendre dire. Logique.
On sourit encore. On se détend. C’est agréable de se souvenir, de Marguerite, de l’appentis qui menait au jardin tout en longueur avec des arbres fruitiers, de l’humidité tenace, du piano, de l’odeur de poire en cuisson, du petit grain d’anis resté coincé entre les dents. Il y avait aussi, chez le voisin, des bêtes ; la mémoire peine. Des moutons, peut-être, des chèvres, des poules ? Des bêtes qu’il fallait apercevoir. Ou des bêtes qui faisaient peur. On ne sait plus. Un fumet de lisier remonte. On revoit un escalier vermoulu qui menait à l’étage et que l’on n’empruntait jamais, une grande table, carrée, un buffet en bois noirci par le temps, une boîte en fer avec on-ne-sait-quoi à l’intérieur, une clé. Des choses comme ça. Le sourire de Marguerite. Sa bonté. On se souvient, soudain. C’est bon. [29f]